À la découverte de Louison Bobet, "le plus grand perfectionniste" de l'histoire du cyclisme
Si le cyclisme est un sport extrêmement sérieux et consciencieux, cela n'a pas toujours été le cas. En effet, fût une époque où les coureurs étaient bien moins professionnels qu'aujourd'hui. Mais deux hommes ont changé cette discipline à tout jamais : Fausto Coppi et Louison Bobet.
Si l'Italien est le premier homme à suivre une diététique très stricte, Louison Bobet va perfectionner cette pratique. Grâce à sa rigueur et à son courage, le Breton va devenir l'un des plus grands coureurs de son époque. Retour sur la carrière du "plus grand professionnel" de l'histoire du cyclisme.
Né à Saint-Méen-le-Grand, en Ille-et-Vilaine, le 12 mars 1925, Louison Bobet est le fils de Louis Bobet, un passionné de sport en tout genre. Ce dernier va initier son aîné au vélo dès l'âge de deux ans. À dix ans, il livre à bicyclette les pains de la boulangerie familiale, selon Pierre Chany, journaliste de L'Équipe.
Très doué en tennis de table, le jeune garçon voit toujours le cyclisme comme un loisir et, entre la Seconde Guerre mondiale et le travail à la boulangerie, n'imagine pas réellement une carrière professionnelle.
Ce n'est qu'en 1943, à 18 ans, que le Breton prend sa première licence au cyclo-club rennais. Coureur très (trop) généreux, il n'hésite pas à rouler en tête toute la course jusqu'à manquer de force lors du sprint final, raconte Jean-Paul Olliver dans son ouvrage Louison Bobet : la légende du cyclisme.
Lors des derniers mois de guerre, il rejoint avec son père les FFI, et transporte des messages pour la Résistance. Il rejoint ensuite le 3ᵉ bataillon du 41ᵉ régiment d'infanterie basé à Rennes avant d'être démobilisé en 1945.
Après avoir participé aux championnats de France de tennis de table, il reprend sérieusement le cyclisme en 1946 et termine deuxième du championnat de Bretagne, lui permettant de se qualifier pour les championnats de France amateurs, qu'il remporte le 11 août 1946. Sa carrière est lancée !
En 1947, il signe son premier contrat professionnel chez Stella. Ses débits sont prometteurs malgré des erreurs tactiques toujours trop présentes, en raison de sa grande générosité à l'effort. Il se révèle finalement lors des Boucles de la Seine, une course qu'il remporte avec six minutes d'avance sur ses concurrents.
L'année suivante, il est retenu dans l'équipe de France pour disputer son premier Tour de France. Il termine deuxième de la seconde étape puis endosse le maillot jaune lors de la troisième étape, avant de le perdre, puis de le récupérer lors de la sixième, qu'il gagne. Il le garde jusque dans les Alpes, mais à cause du manque de soutien de son équipe et de nombreuses blessures, le perd et passe tout proche de l'abandon lors de la 14ᵉ étape.
Jean Leulliot, journaliste de Miroir-Sprint, écrit alors : "L'équipe de France comprend un ramassis de vedettes toutes aussi égoïstes [...] Possédant tous une tête de turc ou un crâne de buis, ils n'ont jamais entouré ni aidé Bobet comme ils auraient dû le faire."
Diminué par des furoncles, il perd finalement ce Tour de France au profit de Gino Bartali et termine quatrième, à seulement 22 ans. Malgré ces blessures, le Français n'a pas abandonné et a même remporté deux étapes. Son courage et son panache sont salués de tous. Bartali dira même : "En un mot, il m'a émerveillé. [...] Quand il aura un peu plus de métier, ce sera un très, très grand champion. Il gagnera le Tour, j'en suis certain."
Malgré s'être révélé en 1948, la saison 1949 est très décevante pour le Breton qui remporte tout de même le Tour de l'Ouest et le Critérium des As devant son idole Fausto Coppi. Les deux hommes vont ensuite se rendre en Italie pour échanger sur leur méthode d'entraînement respective.
En 1950, il se concentre sur les classiques et enchaîne les places d'honneur sur Milan - San Remo, Paris-Roubaix mais remporte son premier championnat de France. Il arrive avec le maillot tricolore sur le Tour et termine troisième, remportant le maillot de meilleur grimpeur et la 18ᵉ étape.
Tandis que ses méthodes d'entraînement évoluent et que Louison Bobet ne cesse de perfectionner sa diététique, le Breton acquiert un statut dans le peloton. Plus fin tacticien qu'à ses débuts, il commence à remporter des classiques telles que Milan - San Remo et le Tour de Lombardie en 1951.
Après avoir remporté largement Paris - Nice en 1952, prouvant qu'il est encore un coureur de courses à étapes. Il joue ensuite de malchance sur le Tour des Flandres qu'il perd à cause d'un saut de chaîne. Il ne participe pas au Tour cette année-là et concentre sa préparation pour la Grande Boucle 1953.
En raison d'une induration à la cuisse droite liée au frottement de son cuissard sur le Giro, Louison Bobet arrive diminué sur le Tour. Il concède plus de neuf minutes à Robic mais réussit à reprendre du temps lors de l'épreuve entre Albi et Béziers. C'est dans les Alpes, à Vars, que le Breton fait la différence en attaquant avant de s'envoler dans l'Izoard. Il remporte l'étape et endosse le maillot jaune avec plus de huit minutes d'avance sur Malléjac.
Le lendemain, il survole la concurrence sur le contre-la-montre et assoit sa domination. Il remporte finalement le Tour de France et devient le premier Français à s'imposer sur l'épreuve depuis Roger Labépie en 1937, soit 16 ans de disette.
Cette victoire fait changer de statut le Breton qui devient une véritable star en France. Plus calme, plus serein, Louison Bobet est comme transformé selon Jean-Paul Ollivier : "D'un seul coup, il m'a semblé que la grande angoisse qui m'oppressait depuis mes premières victoires et me rendait fébrile était tombée. Je me sentais délivré et tout à fait décontracté. Je sentais qu'une nouvelle vie allait commencer pour moi, plus équilibrée, parce qu'un doute avait disparu."
Favori du Tour, Louison Bobet a comme principal adversaire le Suisse Ferdi Kübler. Ce dernier va s'accrocher mais, une fois encore, c'est dans les Alpes que le Français s'envole et remporte la Grande Boucle avec plus de quinze minutes d'avance sur son rival. Sur sa lancée, il remporte les championnats du monde trois semaines après : il est intouchable.
Il rejoint alors l'équipe Mercier qui a plus de moyens. Louison Bobet continue de faire évoluer ses méthodes d'entraînement et sa diététique est toujours aussi stricte. Le Breton compte et pèse tout ce qu'il mange.
Malgré une blessure à la selle, Louison Bobet va encore une fois dominer le Tour de France 1955 et devient le premier homme à remporter l'épreuve trois fois consécutivement.
Toutefois, cette blessure va tout changer. Diminué, Louison Bobet est contraint de prendre du repos. S'il remporte Paris-Roubaix en 1956, cette saison est moins intensive que les précédentes. Les suiveurs pensent alors que le coureur ne sera plus jamais le même.
Pour faire taire les sceptiques, le Breton s'aligne sur le Tour d'Italie 1957. Grand favori, il termine pourtant deuxième à quelques secondes de Gastone Nencini. Un échec qui le pousse à ne pas participer à la Grande Boucle.
Malgré deux médailles d'argent aux championnats du monde 1957 et 1958, Louison Bobet ne retrouvera jamais son niveau. Régulièrement blessé et amoindri, il arrête finalement sa carrière après un accident de voiture survenu en 1961 avec son frère Jean avant der se reconvertir dans la thalassothérapie.
Dans son ouvrage Mythologie, Roland Barthes lui rend hommage et affirme : "Bobet est un héros prométhéen, il a un magnifique tempérament de lutteur, un sens aigu de l'organisation, c'est un calculateur, il vise réalistement à gagner. Son mal, c'est un germe de cérébralité, il connaît l'inquiétude, l'orgueil blessé : c'est un bilieux."
L'historien du cyclisme Jean-Paul Ollivier a même affirmé que le Breton était "le plus grand perfectionniste que le cyclisme français ait connu".