Bartali - Coppi : la rivalité qui a divisé l'Italie des années 40
Le cyclisme a connu des grandes rivalités, mais aucune n'a atteint l'apogée de celle entre Fausto Coppi et Gino Bartali. D'un côté, Gino le Pieux, de l'autre Coppi le Pêcheur : deux champions, deux mondes.
Hinault contre LeMond, Ancquetil et Poulidor, Cancellara et Boonen ou encore Van Aert et Van der Poel… Toutes ses rivalités sont iconiques, mais, dans le grand livre du vélo, une est au-dessus de toutes.
Pour la découvrir, il faut revenir dans les années 40, dans une Italie en pleine reconstruction après la guerre. Le pays cherche son héros, mais va en trouver deux : Gino Bartali et Fausto Coppi.
Bartali, surnommé "Gino le Pieux", est un coureur sobre et conservateur, tandis que Coppi, surnommé "Il Campionissimo" (Le Champion des champions), est plus audacieux, plus fou.
Tout commence lors du Tour d’Italie 1940. Bartali est alors le leader de l’équipe et Coppi n’est qu’un “équipier”. Or, Gino se blesse et refuse d’abandonner, voulant continuer à assumer son statut de leader.
Fausto Coppi, quant à lui, voit cela comme une opportunité et attaque son leader, qui ne peut pas le suivre. Le jeune Italien, 21 ans à l’époque, remporte son premier Giro, au nez et à la barbe de son leader.
En 1946, la rivalité entre les deux coureurs est à son apogée. Les deux cyclistes sont les grands favoris de la classique italienne Milan - San Remo et, après une grande bataille, c’est Coppi qui remporte la course.
Outre leur rivalité sportive, les deux hommes sont opposés sur tout : leur style de vie, leur apparence et leur caractère. Fausto Coppi est le premier coureur à suivre un régime strict, une alimentation spécifique et à exercer le dopage massif.
En 1948, les deux hommes se neutralisent lors des championnats du monde 1948 et, ne voulant faire des efforts pour rattraper l’échappée, abandonnent la course alors qu’ils étaient les plus forts des Mondiaux.
Les médias italiens s’emparent du sujet et le pays entier doit se faire son avis : soit c’est Coppi, soit c’est Bartali, mais pas les deux. Les deux hommes deviennent des véritables icônes de l’Italie d’après-guerre. Une religion est née.
Dans des propos rapportés dans l'ouvrage Le Tour de France : reflet de l'histoire de la société de Pierre Lagrue, il est dit que l’écrivain Curzio Malaparte a écrit : “Bartali appartient à tous ceux qui croient aux traditions et à leur immuabilité, à ceux qui acceptent le dogme. Il est un homme métaphysique protégé par les saints. Coppi n'a personne au Ciel pour s'occuper de lui. Son manager, son masseur n'ont pas d'ailes. Il est seul, seul sur sa bicyclette.”
Le Nord de l’Italie, moins traditionnel et plus libéré, s’identifie davantage à Coppi. Tandis que, pour le Sud, les Transalpins sont plus sensibles à la sobriété de Bartali.
En 1949, les deux hommes sont alignés sur le Tour de France et, pour la première fois, s’entendent à merveille. Fausto Coppi, vainqueur cette année-là, offre même une étape à Bartali pour ses 35 ans. L’Italie est aux anges.
En 1954, Gino Bartali prend sa retraite, avec un palmarès exceptionnel : trois victoires sur le Giro, deux sur le Tour de France ainsi que quatre Milan - San Remo et trois tours de Lombardie.
En 1960, Fausto Coppi décède malheureusement après avoir contacté la malaria. Il laisse derrière lui un héritage immense avec cinq victoires sur le Tour d’Italie, deux sur le Tour de France mais, surtout, l’image d’un homme qui a révolutionné à jamais le cyclisme grâce à son hygiène de vie.
Quelques années plus, selon des propos rapportés dans le livre Gino Le Pieux de Jean-Paul Ollivier en 1983, Gino Bartali va révéler qu’il avait développé une fascination pour son compatriote : “Je l'étudiais, le regardais, le scrutais, le passais au crible, longtemps, sans me lasser, avec la volonté forcenée de trouver quelque chose.”
“Tandis que nous roulions dans le peloton, mes yeux, irrésistiblement attirés par ses mollets, ne pouvaient s'en détacher, guettant le moindre indice de ce qui pouvait révéler une faiblesse. Et puis, un jour, ma ténacité reçut sa récompense. [...]”, poursuit-il.
Il raconte : “Dans le creux de son genou droit, une veine se gonflait et apparaissait sur cinq à six centimètres dès que le prenait la toxémie musculaire [...] À ce moment, Fausto devenait vulnérable et sa plastique s'altérait.” Ce jour-là, Bartali a attaqué et a pris quatre minutes à son concurrent.
Bartali en est même arrivé à fouiller les poubelles de Fausto Coppi pour comprendre ce qu’il prenait comme dopage : “Je raflais tous les flacons, les bouteilles, les fioles, tubes, cartons, boîtes, suppositoires [...] J'étais devenu si expert dans l'interprétation de toute cette pharmacie que je devinais à l'avance le comportement que Fausto allait avoir au cours de l'étape.”
Gino Bartali et Fausto Coppi sont, encore aujourd’hui, des icônes absolues en Italie, et leur rivalité est allée bien plus loin que le sport, divisant le pays tout entier. Leur duel a contribué à l'essor du cyclisme en Italie, faisant d'eux deux légendes du sport.