Que se passe-t-il à la Fédération française de football, dont le président Noël Le Graët vient d’être écarté ?
Pour le meilleur ou pour le pire, le football français n’en finit pas de faire parler de lui ! Après le magnifique parcours des Bleus à la Coupe du monde et la reconduction de Didier Deschamps à la tête de la sélection, le président de la Fédération française de football (FFF) Noël Le Graët a été mis en retrait de ses fonctions mercredi 11 janvier dernier. Que s’est-il passé ?
Interrogé sur la radio ‘RMC’ au sujet d’un éventuel remplacement de Didier Deschamps par Zinedine Zidane sur le banc de l’équipe de France, le dirigeant avait eu une réponse pour le moins désinvolte, déclarant qu’il n’avait « rien à secouer » du champion du monde 1998 et qu’il ne l’aurait « même pas pris au téléphone » s’il avait tenté de le joindre.
Ces propos ont immédiatement suscité un tollé, aussi bien dans le monde sportif qu’au gouvernement. Pour beaucoup, il s’agit du dérapage de trop du président âgé de 81 ans, qui faisait déjà l’objet d’une vive contestation.
Né en 1941 en Bretagne, Noël Le Graët a débuté comme entrepreneur dans l’agroalimentaire en créant et en dirigeant le groupe qui porte son nom. Il a été maire de Guingamp sous les couleurs du Parti socialiste de 1995 à 2008, une petite ville dont il a également dirigé le célèbre club de football à partir de 1972.
Sous l’impulsion de Le Graët, l’En Avant de Guingamp est passé du niveau régional à l’élite nationale en une trentaine d’années. Le club a remporté la Coupe de France en 2009 et participé à deux reprises à des compétitions européennes, tout en révélant de futurs grands joueurs comme Didier Drogba ou Florent Malouda.
Fort de ses succès dans le football professionnel, Noël Le Graët a fait carrière dans les instances nationales de ce sport. Le Breton a dirigé la Ligue de football professionnel (LFP) de 1991 à 2000. Il devient ensuite vice-président de la FFF de 2005 à 2011.
C’est justement en 2011 que Le Graët a été élu pour la première fois à la tête de la puissante fédération, en battant le président sortant Fernand Duchaussoy. Il a été réélu depuis en 2012, en 2017 et de nouveau en 2022 contre l’ancien président de la LFP Frédéric Thiriez.
Un an après sa prise de pouvoir à la FFF, un nouveau sélectionneur, l’ancien capitaine des Bleus Didier Deschamps, est nommé en équipe de France. L’ère Deschamps sur le banc et l’ère Le Graët à la fédération coïncident et une certaine proximité semble s’être nouée entre les deux hommes, visible par exemple lorsque le Breton a déclaré avoir évoqué avec Deschamps la question de sa propre succession. Des propos qui ont fait jaser…
Mais la complicité affichée entre les deux hommes n’est rien par rapport aux multiples dossiers qui ont récemment refait surface dans le football français et qui ont fini par fragiliser Noël Le Graët.
Les premiers remous à la FFF datent du mois de septembre dernier, lorsque le magazine ‘So Foot’ a révélé des faits supposés de harcèlement se.uel commis par Le Graët à l’égard de ses collaboratrices. Entre des SMS graveleux, une ambiance de travail sexiste et des comportements déplacés à répétition, plusieurs employées de la FFF avaient fini par démissionner.
Citée par ‘France Info’, l’agente de joueurs Sonia Souid (sur la photo) a décrit un homme au « sentiment de toute-puissance », « tordu, méprisant et sans scrupules » mais « habile ». « Concernant les femmes, il n'y a pas de tentatives de viol, il s'agit de comportements totalement déplacés qui pourraient davantage s'apparenter à du harcèlement moral que sexuel », a ajouté l’agente.
Un autre pavé dans la mare a été jeté peu après l’article de ‘So Foot’ par le journaliste indépendant Romain Molina. Selon lui, la FFF aurait couvert des cas d’abus sur mineurs : la fédération avait connaissance de certains agissements mais ne les aurait pas signalés à la justice et n’aurait pas retiré leurs licences sportives à leurs auteurs. Des propos qui complètent un article de ‘L’Équipe’ à ce sujet, paru en décembre 2020.
Par ailleurs, le football français a eu une nouvelle fois son lot d’affaires extra-sportives à l’automne 2022. Du conflit entre Kylian Mbappé et la FFF au sujet des droits à l’image à la gestion du cas Benzema pendant le Mondial, sans oublier la sinistre « affaire Pogba », le monde tricolore du ballon rond a été ébranlé dans les derniers mois de l’année passée.
Mais en tant que premier dirigeant du football français, Noël Le Graët est considéré comme le responsable numéro 1 des dysfonctionnements actuels. Des accusations accentuées par les dérapages récurrents du dirigeant, comme par exemple ses propos misogynes sur les footballeuses de l’équipe de France qui « peuvent se tirer les cheveux ».
Le dirigeant avait aussi été mis en cause à plusieurs reprises après avoir nié ou minimisé l’existence du racisme et de l’homophobie dans le football français, qu’il s’agisse des professionnels ou des supporters.
En tant que président de la FFF, Noël Le Graët fait partie des instances de la puissante Fédération internationale de football, la FIFA. Il s’est souvent vu reprocher sa proximité avec une instance jugée corrompue par beaucoup, et notamment son soutien à son ancien président Sepp Blatter (à droite sur la photo).
Par ailleurs, Noël Le Graët est souvent critiqué pour son exercice autoritaire du pouvoir, pour les conflits en interne à la FFF et pour son désintérêt supposé à l’égard du football amateur. Des accusations qu’il a régulièrement balayées d’un revers de main.
Dans ce contexte, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castera avait convoqué les dirigeants de la FFF et commandité un audit dès le mois de septembre dernier. Les conclusions du rapport doivent éclairer sur les dysfonctionnements récurrents au sein de la fédération et conduire à des changements de gouvernance.
Mais la polémique provoquée par Noël Le Graët le 11 janvier a entraîné un dénouement plus rapide. La directrice générale de la FFF Florence Hardouin a également été mise à pied, et c’est le vice-président Philippe Diallo (sur la photo) qui a repris la présidence par intérim.
Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a appelé de ses vœux un président de la FFF « à la hauteur ». L’affaire, on le voit, est devenue politique, la Fédération agissant par délégation de service public. Mais l’État n’a pas le droit de s’ingérer dans la gestion interne de la FFF, comme a tenu à le rappeler la FIFA qui avait déjà exclu la fédération nigériane à cause d’une intervention politique.
Les révélations s’enchaînent désormais, les inspecteurs chargés de l’audit ayant signalé Le Graët à la justice pour « outrage sexiste » à la suite du témoignage de Sonia Souid. L’ancien patron du football français est plus que jamais pris dans la tourmente, alors qu’il avait déjà été frappé par un cancer ces dernières années.
Les spéculations sur la succession de Noël Le Graët battent désormais leur plein. Mais son mandat dure en principe jusqu’en 2024 et le dirigeant n’a pas l’intention d’abandonner aussi vite la partie. Les prochaines semaines nous éclairciront probablement davantage sur l’avenir de la FFF et du football français.